Ce sont deux pièces de jeunesse de Maeterlinck que présente Tommy Milliot, nouveau directeur du Nouveau Théâtre Besançon Centre dramatique national. Passant de l’intérieur d’une maison à une forêt sur une île, le metteur en scène et scénographe fait résonner la beauté, à la fois concrète et sensible, de ces joyaux du répertoire. Il présente ici les enjeux de son projet et sa façon de travailler avec les acteurs et les actrices de la Troupe.
L’INTRUSE ET LES AVEUGLES
de Maurice Maeterlinck
mise en scène et scénographie Tommy Milliot
du 29 JANV au 2 MARS 2025 au Théâtre du Vieux-Colombier
Durée 2h avec entracte
Tommy Milliot. Au-delà des écritures contemporaines, le désir était dès mes débuts de travailler sur la contemporanéité des dramaturgies, en prise avec des réalités qui sont les nôtres. Ainsi, après Frédéric Vossier, Fredrik Brattberg, Naomi Wallace, Angus Cerini ou Lluïsa Cunillé, j’ai fait une incursion chez Sénèque en trouvant dans Médée des thèmes forts sur lesquels je travaille – le pouvoir, le rapport femmes-hommes, la vengeance, l’oppression… Avec Maeterlinck, je propose une autre parabole de notre société contemporaine, cette fois sur notre condition humaine.
L’Intruse et Les Aveugles sont deux pièces de jeunesse d’une limpidité sublime. Maeterlinck les a d’abord fait éditer ensemble, et ce n’est que plus tard qu’il les a intégrées à sa « Petite Trilogie de la mort » avec Les Sept Princesses. Les monter en diptyque permet de les entendre en dialogue, de comprendre comment elles se répondent et se bousculent autour des thèmes de l’imperceptible et de la clairvoyance.
Tommy Milliot. Ce sont des paraboles de notre existence : l’humain est un aveugle confronté au drame du destin et ne peut accéder qu’à une seule connaissance, celle de ne pas savoir. Nous sommes les témoins impuissants de l’action de la fatalité. L’enfant qui clôt ces deux pièces raconte la possibilité de voir ce que l’adulte raisonnable ne perçoit plus. La puissance de cette écriture tient au fait que les situations soient très concrètes. Le pressentiment de la mort prévaut dans L’Intruse tandis que Les Aveugles mettent en scène une société humaine en quête de sens – un sens que les personnages ont perdu avec la mort du prêtre qui leur servait de guide ; ils sont désormais seuls face à l’immense interrogation qu’est l’existence. Alors les questions fusent, ils interrogent leur condition en se questionnant les uns les autres comme s’ils ne se connaissaient pas, ou plutôt comme s’ils se découvraient soudain. Toute la pièce raconte cette quête de sens, sans résolution.
Si les références religieuses sont multiples (les douze aveugles / les douze apôtres), nous ne sommes pas dans la forme tragique d’un destin signé de la main d’un dieu ; ces drames métaphysiques nous parlent de notre finitude, le simple fait de vivre devient tragique et les aveugles s’éveillent lentement à cette fatalité. La métaphore de la cécité nous propose d’aller au-delà des apparences.
Tommy Milliot. C’est un pur huis-clos, que je rapproche du thriller, où les personnages s’interrogent sur ce qui se passe, sans avoir de réponse, dans une tension progressive et puissante. Nous sommes témoins de leur confrontation à ce qu’ils pressentent, jusqu’à la révélation de la crise – la mort de la mère, la découverte de celle du prêtre. La notion de rythme est capitale. Ce sont comme deux plans-séquence. Ces pièces jouent sur la temporalité, en multipliant des indicateurs, mais sans aucune ellipse : on est dans le pur temps présent. C’est pourquoi j’ai choisi de les présenter l’une à la suite de l’autre, avec un court entracte.
Tommy Milliot. Je me suis naturellement tourné vers Appia, notamment en travaillant la profondeur pour créer des volumes, la lumière et l’ombre. Et j’ai choisi une simplicité – également propre à Maeterlinck – qui fonctionne par la soustraction, avec des indicateurs qui ne ferment pas le sens mais stimulent l’imagination du public. Je désirais que les deux pièces se succèdent comme deux grands tableaux au sein d’une même boîte, en bois. Pour ces drames « statiques », il fallait inventer un espace figé valorisant le caractère actif de l’écriture.
Le premier décor comporte le minimum de mobilier nécessaire à la représentation d’un intérieur : une table, des chaises, une porte… À cet espace restreint succède pour Les Aveugles une grande profondeur de champ, avec des teintes plus foncées favorables aux ombres, et des brèches laissant la lumière tracer des lignes à travers la forêt, dont un rayon de ténèbres ! L’abstraction est renforcée, on entre plus volontiers dans le symbolisme et la perte des repères naturalistes. Ainsi, sur un sol pensé comme les projections intérieures qu’en ont les aveugles, avec des rochers, des parties accidentées, de l’organicité, trois cylindres suffisent à représenter les arbres. J’ai tenu à traiter scénographiquement certains signes symboliques présents dans l’œuvre, dont le chiffre 3 – lié à la Trinité comme au cycle de l’existence, de la naissance à la vie à la mort.
Tommy Milliot. Dans L’Intruse, le hors-scène est un des principes actifs de l’écriture. L’intrigue se déroule dans un intérieur familier, le foyer d’une famille, et la sensation de l’invisible doit être poreuse avec la salle. Il se passe continuellement des choses autour de la pièce où sont les personnages, derrière les fenêtres et les portes – qui est un des leitmotivs, par où la mort entrera. Dans Les Aveugles, les ressorts sont en miroir négatif, sans hors-champ. L’action prend place dans une forêt, sur une île, un lieu clos et inconnu des protagonistes. Tout se joue dans cet espace extérieur, où ils sont enfermés comme à l’intérieur d’eux-mêmes.
Tommy Milliot. Je suis très attentif au son, comme à la lumière, réalisée par Nicolas Marie. Je conçois mes scénographies dans l’attente de leur complémentarité, la façon dont elles pourront habiter les volumes, en créer. Avec Vanessa Court, nous nous intéressons à de possibles effets de zoom, tels que la caméra en produit au cinéma, et à la façon de traduire scéniquement les nombreux sons présents dans le texte, un rossignol qui s’envole par exemple, en évitant d’être dans une réponse littérale, de l’ordre du bruitage. L’illusion théâtrale repose sur une convention – tout est faux mais on y croit – et une bande son réaliste provoquerait inévitablement une irruption du réel. Pour moi, le son doit opérer un processus de transformation et de traduction identique à celui du jeu.
Tommy Milliot. La parole est nécessairement physique et travailler sa physicalité revient à élargir le sens. Je cherche toujours à rester au plus proche de l’écriture, et particulièrement pour Maeterlinck, de sa ponctuation. Je débute les répétitions par un long travail à la table, propice à la réflexion, à la concentration. C’est dans ce cocon – où l’on ne met pas encore son corps à l’épreuve de la scène – que l’on peut tendre des rapports de force entre les personnages, construire la colonne vertébrale du spectacle, une ligne de conduite sur laquelle s’appuyer après, dans le jeu. Cette entrée dans le texte, dans l’écoute mutuelle, est cruciale pour la choralité des Aveugles. Je demande de ne pas chercher à se situer sur ou sous l’écriture, mais à l’intérieur d’elle. J’entends là de se débarrasser des idées préconçues, de se laisser surprendre par le verbe – ce qui nécessite de l’humilité, et de la soustraction. Je considère le metteur en scène comme un élément du collectif, qui ne détient aucune vérité absolue. La mise en œuvre d’une pièce passe par ses multiples interprètes – terme que j’aime énormément car il rappelle que les acteurs et actrices ont leur part de traduction de la pièce.
Entretien réalisé par Chantal Hurault
Responsable de la communication et des publications du Théâtre du Vieux-Colombier
QUELLE COMÉDIE ! LE PODCAST
#16 L’Intruse et Les Aveugles
Tommy Milliot et Bakary Sangaré, par Judith Chaine
Disponible sur Spotify, Deezer et Apple Podcast
L'Intruse et Les Aveugles
VX-COLOMBIER
pour les représentations de mars à juillet 2025
MAR 28 JANV à partir de 11h
achat des places pour tous les publics individuels et les groupes
Sauf contrainte technique majeure, aucune place ne sera vendue aux guichets.
L’achat en ligne est vivement conseillé pour obtenir une réponse immédiate sur la disponibilité des dates des spectacles et du placement souhaités.
En raison du renforcement des mesures de sécurité dans le cadre du plan Vigipirate « Urgence attentat », nous vous demandons de vous présenter 30 minutes avant le début de la représentation afin de faciliter le contrôle.
Nous vous rappelons également qu’un seul sac (de type sac à main, petit sac à dos) par personne est admis dans l’enceinte des trois théâtres de la Comédie-Française. Tout spectateur se présentant muni d’autres sacs (sac de courses, bagage) ou objets encombrants, se verra interdire l’entrée des bâtiments.